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ANGÉLIQUE

censure. Me trouvant quelque peu gêné par suite de frais de voyage imprévus, et en raison de la difficulté de faire venir de l’argent de France, j’avais recouru au moyen bien simple d’écrire dans les journaux du pays. On payait cent cinquante francs la feuille de seize colonnes très-courtes. Je donnai deux séries d’articles, qu’il fallut soumettre aux censeurs.

J’attendis d’abord plusieurs jours. On ne me rendait rien. — Je me vis forcé d’aller trouver M. Pilat, le directeur de cette institution, en lui exposant qu’on me faisait attendre trop longtemps le visa. — Il fut pour moi d’une complaisance rare, — et il ne voulut pas, comme son quasi-homonyme, se laver les mains de l’injustice que je lui signalais. J’étais privé, en outre, de la lecture des journaux français, car on ne recevait dans les cafés que le Journal des Débats et la Quotidienne. M. Pilat me dit : "Vous êtes ici dans l’endroit le plus libre de l’empire (les bureaux de la censure), et vous pouvez venir y lire, tous les jours, même le National et le Charivari. »

Voilà des façons spirituelles et généreuses qu’on ne rencontre que chez les fonctionnaires allemands, et qui n’ont que cela de fâcheux qu’elles font supporter plus longtemps l’arbitraire.

Je n’ai jamais eu tant de bonheur avec la censure française, — je veux parler de celle des théâtres, — et je doute que si l’on rétablissait celle des livres et des journaux, nous eussions plus à nous en louer. Dans le caractère de notre nation, il y a toujours une tendance à exercer la force, quand on la possède, ou les prétentions du pouvoir, quand on le tient en main.

Je parlais dernièrement de mon embarras à un savant,