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LES FILLES DU FEU

pouvais, dans l’intervalle, trouver encore le livre dans quelque autre bibliothèque publique.

Malheureusement, toutes étaient fermées, — hors la Mazarine. J’allai donc troubler le silence de ces magnifiques et froides galeries. Il y a là un catalogue fort complet, que l’on peut consulter soi-même, et qui, en dix minutes, vous signale clairement le oui ou le non de toute question. Les garçons eux-mêmes sont instruits qu’il est presque toujours inutile de déranger les employés et de feuilleter le catalogue. Je m’adressai à l’un d’eux, qui fut étonné, chercha dans sa tête et me dit : « Nous n’avons pas le livre… pourtant, j’en ai une vague idée. »

Le conservateur est un homme plein d’esprit, que tout le monde connaît, et de science sérieuse. Il me reconnut. — Qu’avez-vous donc à faire de l’abbé de Bucquoy ? est-ce pour un livret d’opéra ? j’en ai vu un charmant de vous il y a dix ans[1] ; la musique était ravissante. Vous aviez là une actrice admirable… Mais la censure, aujourd’hui, ne vous laissera pas mettre au théâtre un abbé.

— C’est pour un travail historique que j’ai besoin du livre.


Il me regarda avec attention, comme on regarde ceux qui demandent des livres d’alchimie. — Je comprends, dit-il enfin ; c’est pour un roman historique, genre Dumas.

— Je n’en ai jamais fait ; je n’en veux pas faire : je ne veux pas grever les journaux où j’écris de quatre ou cinq cents francs par jour de timbre… Si je ne sais pas faire de l’histoire, j’imprimerai le livre tel qu’il est !

  1. Piquillo, musique de Monpou, en collaboration avec Alexandre Dumas.