Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

salade ; les yeux du jeune homme se détournaient de temps en temps de son travail, et il suivait les mouvements de Marguerite, tout en pensant à Jeannette. Ce qui unissait en lui ces deux idées, c’était le souvenir de la rencontre de Marguerite et de Jeannette quelque temps auparavant, au sortir de l’église.

— Sœur Marguerite, dit-il, est-ce que Mlle  Jeannette Rousseau est bien riche ? Vous savez, la fille du notaire...

Marguerite fit un mouvement de surprise, quitta sa salade et vint vers Nicolas.

— Pourquoi me demandez-vous cela, mon enfant ? dit-elle.

— Parce que vous la connaissez... et mes parents seraient peut-être bien contents, si j’épousais une demoiselle riche...

La finesse de l’écolier, qui voulait concilier à la fois la prévoyance paternelle avec sa flamme platonique, n’échappa point à la gouvernante ; mais une pensée inconnue traversa tout à coup son esprit, et elle vint s’asseoir, attendrie, la poitrine gonflée de soupirs, auprès de la table de Nicolas. Alors elle lui raconta avec effusion qu’autrefois M. Rousseau, le père de Jeannette, l’avait recherchée en mariage et n’avait pu l’obtenir. — De sorte, dit-elle, que j’aime cette jolie fille, en me disant que j’aurais pu être... sa mère ! Et vous, ajouta-t-elle, mon pauvre enfant, votre amour m’intéresse à cause de cela : si j’y pouvais quelque chose, j’irais voir vos parents et les siens ; mais vous êtes trop jeune, et elle a deux ans de plus que vous...

Nicolas se mit à pleurer et se jeta au cou de Marguerite ; leurs larmes se mêlaient sans que ni l’enfant ni la femme songeassent à la nature différente de leur émotion... Marguerite revint à elle et se leva sérieuse et rouge de honte ; mais Nicolas, qui lui pressait les mains, sentit