Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/11

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On a toujours pensé depuis, en recueillant les détails de cette existence singulière, que l’infortuné était victime d’une de ces fascinations magnétiques dont la science se rend mieux compte aujourd’hui. Tout semblable d’apparence au roi, reflet de cet autre lui-même et confondu par cette similitude dont chacun fut émerveillé, Spifame, en plongeant son regard dans celui du prince, y puisa tout à coup la conscience d’une seconde personnalité ; c’est pourquoi, après s’être assimilé par le regard, il s’identifia au roi dans la pensée, et se figura désormais être celui qui, le seizième jour de juin 1549, était entré dans la ville de Paris, par la porte Saint-Denis, parée de très belles et riches tapisseries, avec un tel bruit et tonnerre d’artillerie que toutes maisons en tremblaient. Il ne fut pas fâché non plus d’avoir privé de leur office les sieurs Liget, François de Saint-André et Antoine Ménard, présidents au parlement de Paris. C’était une petite dette d’amitié que Henri payait à Spifame.

Nous avons relevé avec intérêt tous les singuliers périodes de cette folie, qui ne peuvent être indifférents pour cette science des phénomènes de l’âme, si creusée par les philosophes, et qui ne peut encore, hélas ! réunir que des effets et des résultats, en raisonnant à vide sur les causes que Dieu nous cache ! Voici une bizarre scène qui fut rapportée par un des gardiens au médecin principal de la maison. Cet homme, à qui le prisonnier faisait des largesses toutes royales, avec le peu d’argent qu’on lui attribuait sur ses biens séquestrés, se plaisait à orner de son mieux la cellule de Raoul Spifame, et y plaça un jour un antique miroir d’acier poli, les autres étant défendus dans la maison, par la crainte qu’on avait que les fous ne se blessassent en les brisant. Spifame n’y fit d’abord que peu d’attention ; mais quand le soir fut venu, il se