Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/116

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ciées ; alors, elles revêtent une brutalité qui fait horreur, même à la personne aimée. Mon oncle fut ainsi cause de tous mes malheurs, et, quoiqu’il combattît de tous ses efforts l’amour coupable qu’il avait conçu pour moi, il ne pouvait se défendre d’une jalousie stérile qui le conduisit à refuser la demande que M. Rousseau avait faite de moi. Il lui déclara qu’il ne voulait pas que je me mariasse, qu’il se proposait de me faire religieuse, et, pour être plus sûr de me rendre cette union impossible, il en arrangea lui-même une autre de concert avec les parents de M. Rousseau, de sorte que ce dernier finit par épouser celle… qui depuis lui a donné… votre Jeannette. La retraite de M. Rousseau encouragea un autre jeune homme, M. Denesvre, à me faire sa cour ; mais j’étais si timide et si ignorante des motifs secrets de mon oncle, que je ne voulus pas décacheter une lettre qui me fut remise par M. Denesvre, de sorte que celui-ci résolut enfin de me faire demander officiellement en mariage. M. Polvé répondit que « sa nièce n’était pour le nez d’aucun habitant du pays ». Alors M. Denesvre fit en sorte de me parler en secret, et ses plaintes furent si touchantes, que je consentis à l’écouter la nuit à une fenêtre basse. Une fois, mon oncle se réveilla, s’aperçut de ce qui se passait, et monta à son grenier, d’où il tira un coup de fusil sur M. Denesvre. Le malheureux ne poussa pas un cri et parvint à se traîner, tout en perdant son sang, hors de la ruelle qui communiquait à ma fenêtre. Faute de s’être fait panser… ce qui aurait pu me compromettre… il mourut quelques jours après. Il m’avait fait parvenir une lettre écrite au lit de mort… Je la garde toujours… et depuis je n’ai plus jamais songé au mariage !

Marguerite pleurait à chaudes larmes en faisant ce récit ; elle passait ses mains dans les cheveux de Nicolas et