Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/129

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vous à la grand’messe ? — Oui, madame. — Avez-vous eu du pain bénit ? — Non, madame, je me trouvais derrière le chœur, où l’on n’en distribue pas. — En voici un morceau. — Et elle le lui montra sur un plat d’argent, mais il fallut encore qu’elle le lui donnât. — Vous êtes dans vos réflexions ? ajouta-t-elle. — Oui, madame... — Et, sentant tout à coup l’inconvenance de sa réponse, il reprit un peu de courage ; il se souvint que ce jour était justement celui de la naissance de Mme  Parangon : — Je songeais, dit-il, que c’est aujourd’hui une fête... Aussi je voudrais bien avoir un bouquet à vous présenter ; mais je n’ai que mon cœur, qui déjà est à vous. Elle sourit et dit : — Le désir me suffit. — Nicolas s’était levé, et, s’approchant de la fenêtre, il regardait vers le ciel : Madame, ajouta-t-il, si j’étais un dieu, je ne penserais pas à vous offrir des fleurs, je vous donnerais la plus belle étoile, celle que je vois là. On dit que c’est Vénus... — Oh ! monsieur Nicolas ! quelle idée avez-vous ? — Ce qu’on ne peut atteindre, madame, le ciel nous permet du moins de l’admirer. Aussi, toutes les fois maintenant que je verrai cette étoile, je penserai : « Voilà le bel astre sous lequel est née Mlle  Colette. » Elle parut touchée et répondit : « C’est bien, monsieur Nicolas, et très joli !"

Nicolas s’applaudit d’échapper aux reproches que sans doute il méritait ; mais la dignité de sa maîtresse lui parut de la froideur ; Mme  Parangon rentra chez elle ensuite. Le jeune homme se sentait si agité, qu’il ne pouvait rester en place. La soirée n’était pas encore avancée, il sortit de la maison, et se promena du côté du rempart des bénédictins. Quand il revint, la maison était vide ; M. Parangon avait reçu une lettre d’affaires qui l’avait obligé de partir pour Vermanton ; sa femme était allée le conduire à la voiture et s’était fait accompagner de sa ser-