Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/130

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vante Tiennette. Nicolas avait le cœur si plein, qu’il fut contrarié de ne savoir à qui parler. En jetant les yeux par hasard dans la cour des cordeliers, il aperçut Gaudet d’Arras, qui se promenait à grands pas en regardant les astres.

C’était, nous l’avons dit, un singulier esprit que ce moine philosophe. Il y avait dans sa tête un mélange de spiritualisme et d’idées matérielles qui étonnait tout d’abord. Sa parole enthousiaste lui donnait aussi sur tous ceux qui l’approchaient un empire auquel il n’était pas possible de se soustraire. Nicolas fit quelques tours de promenade avec lui, s’unissant comme il pouvait aux rêveries transcendantes de Gaudet d’Arras. Son amour platonique pour Jeannette, son amour sensuel pour Mme  Parangon, lui exaltaient la tête au point qu’il ne put s’empêcher d’en laisser paraître quelque chose. Le cordelier lui répondait avec une apparente distraction. « O jeune homme, lui disait-il, l’amour idéal, c’est la généreuse boisson qui perle au bord de la coupe ; ne te contente pas d’en admirer la teinte vermeille ; la nature ouvre en ce moment sa veine intarissable, mais tu n’as qu’un instant pour t’abreuver de ses saveurs divines, réservées à d’autres après toi ! »

Ces paroles jetaient Nicolas dans un désordre d’esprit plus grand encore. « Quoi ! disait-il, n’existe-t-il pas des raisons qui s’opposent à nos ardeurs délirantes ? n’est-il pas des positions qu’il faut respecter, des divinités qu’on adore à genoux, sans oser même leur demander une faveur, un sourire ? » Gaudet d’Arras secouait la tête et continuait ses théories à la fois nuageuses et matérielles. Nicolas lui parla de l’éternelle justice, des punitions réservées au vice et au crime… Mais le cordelier ne croyait pas en Dieu. « La nature, disait-il, obéit aux conditions