Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/131

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préalables de l’harmonie et des nombres ; c’est une loi physique qui régit l’univers. — Il m’en coûterait pourtant, disait Nicolas, de renoncer à l’espérance de l’immortalité. — J’y crois fermement moi-même, dit Gaudet d’Arras. Lorsque notre corps a cessé de vivre, notre âme dégagée, se voyant libre, est transportée de joie et s’étonne d’avoir aimé la vie… » Et s’abandonnant à une sorte d’inspiration, il continua, comme rempli d’un esprit prophétique : « Notre existence libre me paraît devoir être de deux cent cinquante ans… par des raisons fondées sur le calcul physique du mouvement des astres. Nous ne pouvons ranimer que la matière qui composait la génération dont nous faisions partie ; probablement cette matière n’est entièrement dissoute, assez pour être revivifiable, qu’après l’époque dont je parle. Pendant les cent premières années de leur vie spirituelle, nos âmes sont heureuses et sans peines morales, comme nous le sommes dans notre jeunesse corporelle. Elles sont ensuite cent ans dans l’âge de la force et du bonheur, mais les cinquante dernières années sont cruelles par l’effroi que leur cause leur retour à la vie terrestre. Ce que les âmes ignorent surtout, c’est l’état où elles naîtront ; sera-t-on maître ou valet, riche ou pauvre, beau ou laid, spirituel ou sot, bon ou méchant ? Voilà ce qui les épouvante. Nous ne savons pas en ce monde comment on est dans l’autre vie, parce que les nouveaux organes que l’âme a reçus sont neufs et sans mémoire ; au contraire, l’âme dégagée se ressouvient de tout ce qui lui est arrivé non-seulement dans sa dernière vie, mais dans toutes ses existences spirituelles… »

A travers ces bizarres prédications, Nicolas suivait toujours sa rêverie amoureuse ; Gaudet d’Arras s’en aperçut et garda pour un autre jour le développement de son système ; seulement, il avait jeté dans le cœur du jeune