Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/132

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homme un germe d’idées dangereuses qui, par leur philosophie apparente, détruisaient les derniers scrupules dus à l’éducation chrétienne. La conversation se termina par quelques banalités sur ce qui se passait dans la maison. Nicolas apprit indifféremment à son ami que M. Parangon était parti pour Vermanton : « Voilà une belle veuve… » s’écria le cordelier, et ils se séparèrent sur ces mots.

En remontant dans la maison, Nicolas se sentit comme un homme ivre qui pénètre du dehors dans un lieu échauffé. Il était tard, tout le monde dormait, et il ouvrait les portes avec précaution pour regagner sans bruit sa chambre. Arrivé dans la salle à manger, il se prit à songer au repas qu’il avait fait seul avec sa maîtresse quelques heures auparavant ; la fenêtre était ouverte, et il chercha des yeux cette belle étoile de Mlle  Colette, cette étoile de Vénus qui brillait alors au ciel d’une clarté si sereine : elle n’y était plus. Tout à coup une pensée étrange lui monta au cerveau ; les dernières paroles qu’avait dites Gaudet d’Arras lui revinrent à l’esprit, et, comme un larron, comme un traître, il se précipita vers la chambre où reposait l’aimable femme. Grâce aux habitudes confiantes de la province, une simple porte vitrée fermée d’un loquet constituait toute la défense de cette pudique retraite, et même la porte n’était que poussée. La respiration égale de Mme  Parangon marquait d’un doux bruit les instants fugitifs de cette nuit. Nicolas osa entr’ouvrir la porte, puis, tombant à genoux, il s’avança jusqu’au lit, guidé par la lueur d’une veilleuse, et alors il se releva peu à peu, encouragé par le silence et l’immobilité de la dormeuse.

Le coup-d’œil que jeta Nicolas sur le lit, rapide et craintif, ne porta pas à son âme tout le feu qu’il en at-