Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/146

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de la personnalité, ils restent encore bien en arrière de l’amour-propre d’un tel écrivain. Nous l’avons vu déjà lisant dans les salons des grands seigneurs et des financiers du temps les aventures scabreuses de sa vie, dévoilant ses amours comme ses turpitudes et les secrets de sa famille comme ceux de son ménage. Une audace plus grande encore fut d’écrire la série de pièces qu’il intitule le Drame de la Vie, et de les faire représenter dans diverses maisons, tantôt par des acteurs de la Comédie-Italienne qu’on engageait à cet effet, tantôt à l’aide d’ombres chinoises qu’un artiste italien faisait mouvoir, tandis que lui-même se chargeait du dialogue. Il est impossible de mieux s’exposer en sujet de pathologie et d’anatomie morale. Et malheur à ceux-là mêmes qui assistaient complaisamment à ce dangereux spectacle ! Ils ne songeaient guère qu’ils prendraient place un jour dans ce cadre éclairé d’un reflet de la vie réelle, avec leur profil hardiment découpé, leurs ridicules et leurs vices ; qu’un baladin les ferait mouvoir, les ferait parler avec les intonations mêmes de leur voix, se servant des paroles qu’ils avaient dites tel jour, dans telle rue, dans tel salon, dans telle société plus ou moins avouable, en présence de l’impitoyable observateur. Qui n’eût fui la société d’un tel homme, si l’on avait prévu qu’après s’être publiquement avili, il s’en vengerait sur les railleurs, sur les admirateurs, sur les simples curieux même ? — A chacun de vous il répétera : Quid rides ?… De te fabula narratur ! Il pénétrera dans vos hôtels princiers, dans vos alcôves, dans le secret de ces petites maisons si bien fermées, dont il aura su toute l’histoire en séduisant votre femme de chambre, ou en se rencontrant au cabaret avec votre suisse ou votre grison. Tel était l’homme, — soutenu jusqu’au bout, il est vrai, par cette étrange illusion qui ne