Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/149

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femme de Nitri, — autrefois fort belle, — alors tombée dans la classe des baronnes de lansquenet. La reconnaissance fut touchante. La baronne se souvint d’avoir fait, lorsqu’elle n’était que paysanne, danser sur ses genoux le jeune Nicolas.

— Que viens-tu faire ici ? lui dit-elle : quoi que je puisse être aujourd’hui, j’ai peine à voir que le fils d’honnêtes gens se trouve dans un pareil lieu.

Nicolas lui raconta son amour subit pour la mule verte et surtout pour le pied délicat qu’elle supportait sur son talon évidé, haut de trois pouces.

— Comment se fait-il que je l’aie vue entrer, dit-il, et qu’elle ne soit pas ici ?

— Elle est ici, dit la baronne ; elle est dans la chambre voisine qui donne sur ce salon par une porte vitrée… Tiens-toi bien, elle te regarde peut-être.

— Moi ? dit Nicolas.

— Ainsi que ces messieurs… C’est une grande dame, curieuse de connaître ce qui se passe dans ces maisons qui leur sont interdites, et si…

— Si…

— Enfin, je te l’ai dit, pose-toi bien… sois gracieux !

Nicolas n’y comprenait rien. L’heure du souper était venue. Le jeu fut interrompu, et toute la société prit part à ce banquet, qui est d’usage dans ces sortes de maisons vers une heure du matin. Cependant la dame à la mule verte ne paraissait pas ; tout à coup la maîtresse de la maison, qui était sortie un instant de la salle, revient près de Nicolas et lui dit à l’oreille : — Vous avez plu… je suis contente de voir ce bonheur arriver à un garçon de notre pays. Seulement, résignez-vous, il y a une condition… Vous ne la verrez pas ! C’est bien assez d’avoir vu déjà sa mule verte.