Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/151

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Quinze ans plus tard (1771), Nicolas s’éloigne de Paris pour remplir un triste devoir. Il est sur le coche de Sens ; triste et pensif, il regarde avec désespoir une compagnie de dames élégamment vêtues, qui causent et rient sur l’arrière du bateau : « Que de gens, s’écrie-t-il, moins malheureux que moi !… Infortuné ! je vais voir mourir ma mère !"

Deux dames se détachent de la foule et causent en passant, sans le voir, près du coin obscur où il s’est blotti. — Quel nom, dit l’une des deux, donnerons-nous ici à la jeune demoiselle, afin qu’on ignore le sien ? — Appelons-la : Reine, dit l’autre ; c’est presque une reine, en effet, mais qui s’en doutera ? — Reine, oui, reprit la première en riant, si c’était vraiment la fille du prince de Courtenay, le plus vieux nom de France ; mais c’est sa mère seule qui le dit. — N’a-t-elle pas eu raison, dit l’autre dame, de vouloir revivifier cette branche antique, la plus noble qui soit dans la chrétienté ? Songe donc, ma chère, qu’il n’y aura plus de Courtenay qu’en Angleterre. Qui osera désormais porter l’écusson aux cinq besants d’or, plus éclatant que celui des lis ? — Après tout, ce n’est qu’une fille, dit l’autre dame, par conséquent elle a eu tort. Il fallait un garçon pour ne point laisser périr le titre et pour hériter des positions ! — Elle a fait ce qu’elle a pu. Les légitimités ne sont pas toujours heureuses. — Et le jeune homme était-il bien ? — Elle l’a vu, sans qu’il la pût voir ; il avait vingt ans environ…

En ce moment, les dames s’aperçurent de la présence de Nicolas, qui, dans l’ombre, la tête dans ses mains, ne semblait pas avoir pu les entendre.