Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/158

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Un sac d’écus roula à terre. « Qu’est-ce que cela ? dit Loiseau. » Nicolas n’était pas moins étonné que lui : — T’aurait-on envoyé de l’argent de ton pays ? — Eh ! qui donc songe à moi ?… excepté toi et… mais c’est elle ! — Qui elle ? — Zéfire, que tu as rencontrée ce matin, et qui est venue me soigner en ton absence. — Comment ? une fille du monde ?…

Toutes les idées de l’honnête Loiseau étaient renversées ; tantôt il admirait la bonté et le dévouement de la jeune fille, tantôt il voulait aller reporter l’argent impur déposé par elle. Enfin, sachant qu’elle devait revenir le lendemain, il mit l’argent dans la malle pour le lui rendre.

Le lendemain matin, Zéfire reparut ; elle était si jolie, si naïve, si touchante dans sa pitié, que Loiseau fut attendri. « Qu’importe où soit la vertu ? s’écria-t-il, je me prosterne et je l’adore !… mais cet argent, nous ne pouvons l’accepter ?… » Zéfire comprit sa pensée. « Cet argent vient de mon père, dit-elle ; c’est ma sœur aînée qui me le gardait et qui me l’a donné en apprenant qu’il y avait un pauvre malade à secourir. » Loiseau se laissa aller à ouvrir le sac et à compter les écus en versant des larmes d’attendrissement. Les deux amis étaient accablés de tant de dettes criardes, qu’en y songeant leurs scrupules s’affaiblissaient beaucoup. Le soir même, Zéfire s’oublia et resta jusqu’à la nuit close ; Loiseau la trouva encore en rentrant, elle le pria de la reconduire. « Moi ? dit-il, reconduire… — Sans cela on m’arrêterait. — Allons, dit Loiseau, je vais me faire une belle réputation dans le quartier ! » Quant à Zéfire, elle trouvait sa position fort simple. Sa mère lui avait dit que les femmes se divisaient en deux classes, toutes deux utiles à leur manière, toutes deux honnêtes relativement ; elle appartenait