Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/163

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Et l’autre drôlesse, est-ce que c’est aussi une vertu ? » Il cherchait en même temps à s’approcher de Zoé. Loiseau le repoussa rudement : — Respecte la fiancée d’un citoyen ! cria-t-il (cela se passait en 1758). — Un citoyen ! dit le mousquetaire en éclatant de rire, cela ne se dit qu’à Genève… Tu m’as l’air d’un huguenot !

Loiseau prit un escabeau, et frappa le mousquetaire qui avait parlé. La mêlée devint générale. En vain Zéfire et Zoé s’interposaient entre les combattants ; le fruitier faisait merveille avec sa broche, et les mousquetaires étaient vaincus, lorsqu’arriva la garde, appelée par le traiteur ; Nicolas, exaspéré, voulait résister encore, mais Loiseau s’y opposa, et tout ce qu’il put faire fut d’emporter hors de la salle Zéfire évanouie. Quand le commissaire arriva, les mousquetaires, embarrassés eux-mêmes de leur équipée, se servirent de leur conjecture précédente pour affirmer que Loiseau, qui avait l’air grave, et se trouvait vêtu de noir, était un ministre protestant qui tenait un prêche, ajoutant qu’ils étaient arrivés à temps pour disperser les hérétiques. Le commissaire donnait dans cette supposition, et faisait déjà mettre les menottes aux trois hommes, en leur promettant qu’ils seraient pendus, lorsqu’enfin l’un des mousquetaires, moins ivre que les autres, voulut bien convenir que lui et ses compagnons étaient un peu dans leur tort. « Voilà un aveu généreux, observa le commissaire… on reconnaît bien là les personnes de haute naissance. — En vérité, dit le mousquetaire aux ouvriers, la platitude des gens de plume me ferait renoncer à mes prérogatives de gentilhomme !… » Puis, ne pouvant s’empêcher de reprendre un ton de hauteur : « Au revoir ! dit-il en s’éloignant, nous vous couperons les oreilles quelque autre jour ! »