Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/170

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maison. Aussi renouvela-t-elle ses visites, toujours pour emprunter des livres que Nicolas finit par lui donner. Rien n’était pur et touchant comme ces premières entrevues. Nicolas avait bien appris certains bruits qui couraient sur le compte de la jeune fille, mais il les regardait comme des calomnies. Peut-être cette jeune fille avait-elle été compromise par quelque cause provenant de l’avidité de sa mère ; puis elle avait l’air si candide, qu’il se serait fait un scrupule d’altérer par un mot, par un geste, même par un regard, la pureté de son innocence ; il lui témoignait du respect, de l’estime et un empressement dont il n’osait lui-même s’expliquer la nature. Sara le sentit, ou du moins sa mère le sentit pour elle, car, arrivées à ce point, les visites devinrent plus fréquentes, les conversations plus intimes ; elle lui apporta d’abord quelques chansons très bien choisies, de celles qu’on appelait brunettes, et lui chanta celle qui avait le plus de rapport avec la situation qu’elle voulait prendre vis-à-vis de lui.

Si les passions sont moins subites à quarante ans, le cœur est beaucoup plus tendre : l’homme a moins de fougue, de violence, d’emportement ; mais en revanche il aime avec abnégation et dévouement. L’avenir l’épouvante, et il se cramponne au passé pour tenter de ne pas mourir ; il veut recommencer la vie, et plus la femme aimée est jeune, plus aussi les émotions deviennent vives et délicieuses. Qu’on juge avec quel ravissement Nicolas écoutait les vers suivants chantés par la plus jolie bouche avec une expression des plus tendres :

Mon cœur soupire dès l’aurore.
Le jour, un rien me fait rougir ;
Le soir, mon cœur soupire encore ;
Je sens du mal et du plaisir !