Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/246

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connues, des résidus obscurs, des combinaisons monstrueuses ou avortées. La raison s’en étonne, la curiosité s’en repaît avidement, l’hypothèse audacieuse y trouve les germes d’un monde. Il serait insensé d’établir sur ce qui n’est que décomposition efflorescente et maladive, ou mélange stérile de substances hétérogènes, une base trompeuse, où les générations croiraient pouvoir poser un pied ferme. L’intelligence serait alors pareille à ces lumières qui voltigent sur les marécages, et semblent éclairer la surface verte d’une immense prairie, qui ne recouvre cependant qu’une bourbe infecte et stagnante. Le génie véritable aime à s’appuyer sur un terrain plus solide, et ne contemple un instant les vagues images de la brume que pour les éclairer de sa lueur et les dissiper peu à peu des vifs rayons de son éclat.

Notre siècle n’a pas encore rencontré l’homme supérieur par l’esprit comme par le cœur, qui, saisissant les vrais rapports des choses, rendrait le calme aux forces en lutte et ramènerait l’harmonie dans les imaginations troublées. Nous sommes toujours en proie aux sophistes vulgaires, qui ne font que développer sous mille formes des idées dont ils n’ont pas même, on le voit, inventé les données premières. Il en est de même de cette école si nombreuse aujourd’hui d’observateurs et d’analystes en sous-ordre qui n’étudient l’esprit humain que par ses côtés infimes ou souffrants, et se complaisent aux recherches d’une pathologie suspecte, où les anomalies hideuses de la décomposition et de la maladie sont cultivées avec cet amour et cette admiration qu’un naturaliste consacre aux variétés les plus séduisantes des créations régulières.

L’exemple de la vie privée et de la carrière littéraire de Restif démontrerait au besoin que le génie n’existe pas plus sans le goût que le caractère sans la moralité.