Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/258

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Le phénomène d’une telle œuvre littéraire n’est pas indépendant du milieu social où il se produit ; l’Ane d’or d’Apulée, livre également empreint de mysticisme et de poésie, nous donne dans l’antiquité le modèle de ces sortes de créations. Apulée, l’initié du culte d’Isis, l’illuminé païen, à moitié sceptique, à moitié crédule, cherchant sous les débris des mythologies qui s’écroulent les traces de superstitions antérieures ou persistantes, expliquant la fable par le symbole, et le prodige par une vague définition des forces occultes de la nature, puis un instant après, se raillant lui-même de sa crédulité, ou jetant çà et là quelque trait ironique qui déconcerte le lecteur prêt à le prendre au sérieux, c’est bien le chef de cette famille d’écrivains qui parmi nous peut encore compter glorieusement l’auteur de Smarra, ce rêve de l’antiquité, cette poétique réalisation des phénomènes les plus frappants du cauchemar.

Beaucoup de personnes n’ont vu dans le Diable amoureux qu’une sorte de conte bleu, pareil à beaucoup d’autres du même temps et digne de prendre place dans le Cabinet des fées. Tout au plus l’eussent-elles rangé dans la classe des contes allégoriques de Voltaire ; c’est justement comme si l’on comparait l’œuvre mystique d’Apulée aux facéties mythologiques de Lucien. L’Ane d’or servit longtemps de thème aux théories symboliques des philosophes alexandrins ; les chrétiens eux-mêmes respectaient ce livre, et saint Augustin le cite avec déférence comme l’expression poétisée d’un symbole religieux : le Diable amoureux aurait quelque droit aux mêmes éloges, et marque un progrès singulier dans le talent et la manière de l’auteur.

Ainsi cet homme, qui fut d’abord un poète gracieux de l’école de Marot et de La Fontaine, puis un conteur