Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/284

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mauvais ; quelquefois la confusion des êtres est telle à mes regards, que je ne sais pas toujours distinguer au premier moment ceux qui vivent dans leur chair de ceux qui en ont dépouillé les apparences grossières…

» Oui, ajoutait-il, il y a des âmes qui sont restées si matérielles, leur forme leur a été si chère, si adhérente, qu’elles ont emporté dans l’autre monde une sorte d’opacité. Celles-là ressemblent longtemps à des vivants.

» Enfin, que vous dirai-je ? soit infirmité de mes yeux, ou similitude réelle, il y a des moments où je m’y trompe tout-à-fait. Ce matin, pendant la prière où nous étions réunis tous ensemble sous les regards du Tout-Puissant, la chambre était si pleine de vivants et de morts de tous les temps et de tous les pays, que je ne pouvais plus distinguer entre la vie et la mort ; c’était une étrange confusion, et pourtant un magnifique spectacle ! »

Mme d’Argèle fut témoin du départ du jeune Scévole Cazotte qui allait prendre du service dans les gardes du roi ; les temps difficiles approchaient, et son père n’ignorait pas qu’il le dévouait à un danger.

La marquise de la Croix se joignit à Cazotte pour lui donner ce qu’ils appelaient leurs pouvoirs mystiques, et l’on verra plus tard comment il leur rendit compte de cette mission. Cette femme enthousiaste fit sur le front du jeune homme, sur ses lèvres et sur son cœur, trois signes mystérieux accompagnés d’une invocation secrète, et consacra ainsi l’avenir de celui qu’elle appelait le fils de son intelligence.

Scévole Cazotte, non moins exalté dans ses convictions monarchiques que dans son mysticisme, fut du nombre de ceux qui, au retour de Varennes, réussirent à protéger du moins la vie de la famille royale contre la fureur des républicains. Un instant même, au milieu de la foule,