Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/43

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— Monsieur le sergent, dit l’abbé de Bucquoy, des gens que je ne connais pas et dont je ne puis comprendre les intentions m’ont, par un accord secret, fait échapper de la prison de Soissons. Je me suis aperçu que ces gens étaient des malfaiteurs, et, étant moi-même un honnête homme, je ne puis consentir à me faire leur complice… Je sais que la Bastille m’attend ; arrêtez-moi… et reconduisez-moi en prison.

Le sergent, qui était un homme d’une forte stature, se tourna du côté de ses soldats et dit : « Commencez par vous saisir du joaillier, et appliquez-lui la poire d’angoisse afin qu’il se taise. Ensuite, faites-en autant pour l’abbé…, car il m’étourdit. »

La poire d’angoisse était une sorte de bâillon dont le centre était composé d’une poche de cuir remplie de son, qu’on pouvait mâcher à loisir sans pouvoir rendre au dehors aucune articulation sensible.

L’abbé de Bucquoy, réduit au silence par le bâillon et la poire d’angoisse, ne comprenait pas que l’orfèvre volé eût reçu le même traitement. Sa surprise augmenta en voyant que les soldats de la patrouille aidaient les deux voleurs à dévaliser la boutique. Quelques termes d’argot échangés entr’eux le mirent enfin au courant. La patrouille était une fausse patrouille.

Le sergent, de taille herculéenne, fut reconnu par l’abbé pour ce même chef de faux saulniers avec lequel il avait causé déjà à Morchandgy, près Sens, et qu’on appelait là le capitaine.

Les paquets étaient faits lorsqu’une grande rumeur, mêlée de coups de fusil, se fit entendre au dehors. — « Chargeons tout », dit le capitaine.

On enleva lestement les ballots, et l’abbé lui-même, qui était fortement lié, se trouva sur le dos d’un des voleurs.