Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/87

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donnez-moi votre bras et montons. — Nicolas se rassurait peu à peu. Ce jour-là, par bonheur, son linge était irréprochable, son habit de lustrine était presque neuf, le reste convenable, et d’ailleurs il voyait passer près de lui d’autres invités beaucoup plus négligés dans leur mise que lui-même.

— Où sommes-nous donc ? fit-il tout bas à Junie (Mlle Prudhomme), et, en montant l’escalier, il lui expliqua tout son embarras. Celle-ci se prit à rire aux éclats, et lui dit : Mon ami, soyez tranquille, en fait d’hommes, il n’y a ici que des princes et des poètes, comme dit M. de Voltaire ; c’est une société mêlée… N’êtes-vous pas un peu prince ?

— Je descends de l’empereur Pertinax, dit sérieusement Nicolas, et ma généalogie se trouve bien en règle chez mon grand-père, à Nitri, en Bourgogne.

— Eh bien ! cela suffit, dit Junie, sans trop s’arrêter à la vraisemblance du fait ; je vous aurais mieux aimé poète, parce que vous auriez récité quelque chose de leste au dessert ; mais qu’importe ? un prince, cela est déjà bien, et d’ailleurs c’est moi qui vous introduis.

— Mais où sommes-nous ?

— Nous sommes, dit Junie, à l’hôtel de Hollande, où l’ambassadeur de Venise donne une fête cette nuit.

Ils entrèrent dans la salle (la même où a été depuis le billard de Beaumarchais, qui plus tard occupa cet hôtel). Nicolas, qui n’avait jamais soupé qu’aux Porcherons depuis quelques mois qu’il habitait Paris, était étourdi de la magnificence de la table où il fut convié à s’asseoir. Cependant sa figure avait un tel air de distinction, qu’il ne pouvait paraître déplacé nulle part. On s’étonnait seulement de ne pas le connaître, car il n’y avait là que des