Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/94

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corrompue, le tout relevé abondamment par des maximes humanitaires et philosophiques et des plans de réforme où brillait une sorte de génie désordonné, mais incontestable, qui fit qu’on appela cet auteur étrange le Jean-Jacques des halles.

C’était quelque chose ; cependant, l’homme fut meilleur peut-être que ses livres ; ses intentions étaient bonnes en dépit des écarts d’une imagination dévergondée. Il passait souvent les nuits à parcourir les rues, pénétrant dans les bouges les plus infects, dans les repaires des escrocs, soit pour observer, soit dans sa pensée pour empêcher le mal et faire quelque bien. Il s’imposait, dit-il, le rôle de Pierre-le-Justicier, non en vertu des devoirs de la royauté, mais de ceux de l’écrivain moraliste. Cette étrange prétention le suivait également dans ses relations du monde, où il se faisait le médiateur des querelles et des divisions de famille ou l’intermédiaire de la bienfaisance et du malheur. Il se vante aussi d’avoir, dans ses excursions nocturnes, consolé ou soulagé plus d’un misérable, arraché quelques jeunes filles à l’opprobre ou à l’outrage : ce serait de quoi lui faire pardonner bien des fautes et bien des erreurs. Restif est surtout connu comme romancier ; il a pourtant écrit quelques volumes de philosophie, de morale et même de politique ; seulement, il ne les publia pas sous son nom. La philosophie de M. Nicolas contient tout un système panthéiste, où il tente, à la manière des philosophes de cette époque, d’expliquer l’existence du monde et des hommes par une série de créations ou plutôt d’éclosions successives et spontanées ; son système a du rapport avec la cosmogonie de Fourier, lequel a pu lui faire de nombreux emprunts. En politique et en morale, Restif est tout simplement communiste. Selon lui, la propriété est la source de tout vice, de tout crime, de toute