Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/111

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chez un magistrat de cour où il venait du beau monde. Peut-être y eût-il plus réfléchi, si le babillage de l’enfant n’avait tout à coup changé d’objet.

— Vous savez, dit-elle, que j’ai été au couvent ?… Eh bien ! j’y ai reçu une éducation si soignée, qu’il m’est venu à l’esprit de faire une pièce de théâtre. Oh ! le théâtre, c’est ce qui m’a formée. J’y serais allée plus souvent encore, si ce n’est que maman n’aime pas les bons spectacles ; elle s’ennuie à la comédie et elle n’aime que Nicolet et les Grands-Danseurs du roi. Audinot même est trop sérieux pour elle, ou, si vous voulez, trop…

Sara n’osa prononcer le mot qu’elle avait dans la pensée. Nicolas, plus tard, jugea qu’elle avait voulu dire « trop décent. »

— Eh bien, reprit-il après un silence, puisque vous aimez le théâtre, il faut y essayer vos dispositions, vos grâces et votre esprit.

— Non, dit-elle, je les réserve pour quelque chose de plus important.

— D’important comme quoi ?

— Je les garde pour mériter votre estime.

Le coup avait porté ; Nicolas la regarda avec attendrissement et la serra dans ses bras.

Insensiblement les visites se multiplièrent. Mme Léeman y mettait un aveuglement et une complaisance inexplicables chez une mère. Quelques relations s’établirent entre les voisins. Le jour des Rois étant arrivé, Nicolas offrit le gâteau à la famille, — dans laquelle il fallait bien compter M. Florimond. Ce dernier, entièrement dans la dépendance de Mme Léeman, avait une conversation superficielle où régnait une politesse recherchée qu’il affectait de tenir de ses souvenirs d’homme du monde. Au dessert, la fève ne se trouva pas dans le gâteau, et Florimond fut soupçonné par la jeune fille de l’avoir fait disparaître pour se dispenser de payer son avènement à la royauté.