Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/139

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culté d’attraction avait donc cet homme qui s’est représenté lui-même comme la nature la plus fortement électrisée de son siècle ! Nous devons croire qu’il s’est mêlé, dans les dernières années de sa vie, beaucoup d’infatuation et quelque peu d’éréthisme maniaque à ces énumérations : préoccupé du nombre des bonnes fortunes de sa jeunesse, il croyait rencontrer partout quelqu’un de ses rejetons. De postérité légale, il n’eut que les enfants d’Agnès Lebègue : deux filles, dont l’existence devint un long sujet de procès, avec sa femme d’abord, et ensuite avec son gendre, nommé Auger, qui paraît avoir été la cause des plus grands chagrins de sa vieillesse.

Ce sont tour à tour les Mémoires de M. Nicolas, le Drame de la Vie et les Nuits de Paris qui nous révéleront sous toutes ses faces la vie littéraire de Restif. Lui-même nous apprend comment il fut conduit à écrire son premier roman.

Le mariage de Restif avec Agnès Lebègue n’avait pas été heureux, comme l’on sait. Après plusieurs infidélités réciproques, ils convinrent cependant de supporter de leur mieux la vie commune. Le travail assidu d’un simple ouvrier ne pouvait suffire aux habitudes de dissipation d’une femme coquette. Restif, découragé, travaillait peu à l’imprimerie royale, où il venait d’entrer, et se laissait souvent surprendre à lire en cachette les chefs-d’œuvre des beaux esprits du temps ; il arrivait alors que le directeur, Anisson Duperron, lui rabattait une demi-journée de vingt-cinq sous. Sa misère et son avilissement devinrent tels que, sans la crainte de déshonorer son père, il aurait, il l’avoue, pris quelque parti vil et bas. Cette lutte intérieure, qui rappelait sans cesse à sa pensée les vertus d’Edme Restif que, dans son pays, on avait surnommé l’honnête homme, lui fit dès lors concevoir l’idée d’écrire le livre intitulé la Vie de mon père, qui parut quelques années plus tard, et qui est peut-être le seul irréprochable de ses écrits.

Cependant, pour écrire une œuvre de longue haleine, il fallait plus de force morale et plus de loisir que Restif n’en avait alors. Une veine plus favorable s’ouvrit pour lui en