Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/173

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des hommes. Il explique que l’Être suprême n’est qu’un immense soleil central, cerveau du monde, duquel émanent tous les soleils ; chacun d’eux vivant et raisonnant et donnant le jour à des cométo-planètes, c’est-à-dire les secouant dans l’espace, à peu près comme l’aster de nos jardins secoue ses graines. Quand les cométo-planètes sont ce qu’on appelle aujourd’hui des nébuleuses, elles nagent dans l’éther comme des poissons dans l’eau, s’accouplent et produisent des astroïdes plus petites. En mourant, elles se fixent et deviennent satellites ou planètes. Dans cet état, elles ne subsistent plus que quelques milliards d’années, et c’est de leur décomposition successive que naissent les végétaux, les animaux et les hommes. Les espèces dégénèrent à mesure que la corruption s’avance ; la planète se pourrit tout à fait ou se dessèche, et finit par être la proie d’un soleil qui la consume pour en reproduire les éléments sous les formes nouvelles. Le ciron solaire n’en sait pas davantage, et l’auteur avoue qu’il peut s’être trompé sur bien des points ; mais combien ces données sont déjà supérieures à l’intelligence des hommes ! Multipliandre finit par trouver le secret de créer une race d’hommes ailés et d’en repeupler la terre. Du reste, la plupart des hypothèses de ce livre sont présentées sous la forme caustique de Micromégas et de Gulliver : c’est ce qui en fait supporter la lecture.

Jamais écrivain ne posséda peut-être à un aussi haut degré que Restif les qualités précieuses de l’imagination. Cependant sa vie ne fut qu’un long duel contre l’indifférence. Un cœur chaud, une plume pittoresque, une volonté de fer, tout cela fut insuffisant à former un bon écrivain. — Il a vécu avec la force de plusieurs hommes ; il a écrit avec la patience et la résolution de plusieurs auteurs. Diderot lui-même plus correct, Beaumarchais plus habile, ont-ils chacun la moitié de cette verve emportée et frémissante, qui ne produit pas toujours des chefs-d’œuvre, mais sans laquelle les chefs-d’œuvre n’existent pas ? — Son style, chacun le connaît par l’une ou l’autre de ces œuvres qu’on n’avoue guère avoir lues, mais