Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/187

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et tout à coup, par une des ouvertures de la vieille coupole ruinée, une énorme tête de chameau s’allonge et lui dit : Che vuoi ? Le jeune homme prie le diable de paraître sous une forme plus agréable. Alors, un page charmant et élégamment vêtu se présente à la place du chameau, et lui demande ce qu’il veut. Il veut un souper pour lui et pour ses amis, qui l’attendent près de là. Le souper sort de terre. Les amis prévenus arrivent, et la ruine antique se rebâtit en un instant.

Il manque des musiciens, des danseuses : chacun choisit les plus grands musiciens du monde. Ils arrivent. Le héros de la fête souhaite d’avoir près de lui la plus illustre danseuse de l’Italie : elle entre un instant après avec un doux bruit de castagnettes frissonnantes, s’assied à la table et demande, étonnée, pourquoi on l’a enlevée au milieu d’un pas qu’elle dansait sur le théâtre de la Fenice, au grand ébahissement des spectateurs.

Puis, le banquet terminé, des équipages magnifiques reconduisent les convives chez eux. Le page reste toujours à la suite de son maître ; ce dernier veut le renvoyer, mais le page se jette à ses pieds et lui avoue qu’il est une femme et non un homme. « Mais alors tu es une femme et le diable tout à la fois ? » Cela n’a rien de fort surprenant. Pourtant le charmant lutin femelle ne convient pas de cette identité. Il tente de persuader au jeune homme que sa magie est toute céleste. Celui-ci consent alors à la laisser vivre près de lui ; mais le souvenir de l’affreuse tête de chameau le poursuit toujours au milieu des plus charmantes illusions.

La danseuse du théâtre de la Fenice est devenue aussi amoureuse du héros. Jalouse du page qui l’accompagne partout, devinant enfin son sexe, elle le frappe d’un coup de poignard au moment où il va monter en gondole pour accompagner son maître. C’est alors que l’épreuve devient dangereuse pour ce dernier. Le page, blessé au sein, est vraiment une femme ; bien plus, cette femme souffre comme un être mortel et va mourir. À force de soins, on la sauve au bout de quelques semaines, et son maître, persuadé enfin que c’est une pauvre sylphide