Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/294

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eu les prétentions du pouvoir, quand on le tient en main. Qu’attentdre donc d’une situation qui attaque si gravement les intérêts et la sécurité même des écrivains non politiques ?

Je parlais dernièrement de mon embarras à un savant, qu’il est inutile de désigner autrement qu’en l’appelant bibliophile.

Il me dit :

— Ne vous servez pas des Lettres galantes de madame Dunoyer pour écrire l’histoire de l’abbé de Bucquoy. Le titre seul du livre empêchera qu’on ne le considère comme sérieux ; attendez la réouverture de la Bibliothèque (elle était alors en vacances), et vous ne pouvez manquer d’y trouver l’ouvrage que vous avez lu à Francfort.

Je ne fis pas attention au malin sourire qui, probablement, pinçait alors la lèvre du bibliophile, et, le 1er octobre, je me présentais l’un des premiers à la Bibliothèque nationale.

M. Pilon est un homme plein de savoir et de complaisance. Il fit faire des recherches qui, au bout d’une demi heure, n’amenèrent aucun résultat. Il feuilleta Brunet et Quérard, y trouva le livre parfaitement désigné, et me pria de revenir au bout de trois jours : — on n’avait pas pu le trouver.

— Peut-être, cependant, me dit M. Pilon avec l’obligeante patience qu’on lui connaît, peut-être se trouve-t-il classé parmi les romans.

Je frémis.

Parmi les romans ?… Mais c’est un livre historique !… cela doit se trouver dans la collection des Mémoires relatifs au siècle de Louis XIV. Ce livre se rapporte à l’histoire spéciale de la Bastille : il donne des détails sur la révolte des camisards, sur l’exil des protestants, sur cette célèbre ligue des faux saulniers de Lorraine, dont Mandrin se servit plus tard pour lever des troupes régulières qui furent capables de lutter contre des corps d’armée et de prendre d’assaut des villes telles que Beaune et Dijon !…

— Je le sais, me dit M. Pilon ; mais le classement des livres, fait à divers époques, est souvent fautif. On ne peut en réparer