Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/295

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les erreurs qu’à mesure que le public fait la demande des ouvrages. Il n’y a ici que M. Ravenel qui puisse vous tirer d’embarras… Malheureusement, il n’est pas de semaine.

J’attendis la semaine de M. Ravenel. Par bonheur, je rencontrai, le lundi suivant, dans la salle de lecture, quelqu’un qui le connaissait, et qui m’offrit de me présenter à lui. M. Ravenel m’accueillit avec beaucoup de politesse, et me dit ensuite :

— Monsieur, je suis charmé du hasard qui me procure votre connaissance, et je vous prie seulement de m’accorder quelques jours. Cette semaine, j’appartiens au public. La semaine prochaine, je serai tout à votre service.

Comme j’avais été présenté à M. Ravenel, je ne faisais plus partie du public ! Je devenais une connaissance privée — pour laquelle on ne pouvait se déranger du service ordinaire.

Cela était parfaitement juste d’ailleurs ; mais admirez ma mauvaise chance !… et je n’ai eu qu’elle à accuser.

On a souvent parlé des abus de la Bibliothèque. Ils tiennent en partie à l’insuffisance du personnel, en partie aussi à de vieilles traditions qui se perpétuent. Ce qui a été dit de plus juste, c’est qu’une grande partie du temps et de la fatigue des savants distingués qui remplissent là les fonctions peu lucratives de bibliothécaires, est dépensée à donner aux six cents lecteurs quotidiens, des livres usuels qu’on trouverait dans tous les cabinets de lecture ; ce qui ne fait pas moins de tort à ces derniers qu’aux éditeurs et aux auteurs, dont il devient inutile dès lors d’acheter ou de louer les livres.

On l’a dit encore avec raison, un établissement unique au monde comme celui-là ne devrait pas être un chauffoir public, une salle d’asile, dont les hôtes sont, en majorité, dangereux pour l’existence et la conservation des livres. Cette quantité de désœuvrés vulgaires, de bourgeois retirés, d’hommes veufs, de solliciteurs sans place, d’écoliers qui viennent copier leur version, de vieillards maniaques, — comme l’était ce pauvre Carnaval, qui venait tous les jours avec un habit rouge, bleu