Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/308

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Je m’étais mis en route. Une pensée terrible m’arrêta. C’était le souvenir d’un récit fantastique qui m’avait été fait il y a longtemps.

Le conservateur que je connais avait succédé à un vieillard célèbre[1], qui avait la passion des livres, et qui ne quitta que fort tard et avec grand regret ses chères éditions du xviie siècle ; il mourut, cependant, et le nouveau conservateur prit possession de son appartement.

Il venait de se marier, et reposait en paix près de sa jeune épouse, lorsque tout à coup il se sent réveillé, à une heure du matin, par de violents coups de sonnette.

La bonne couchait à un autre étage. Le conservateur se lève et va ouvrir.

Personne.

Il s’informe dans la maison : tout le monde dormait ; le concierge n’avait rien vu.

Le lendemain, à la même heure, la sonnette retentit de la même manière avec une longue série de carillons.

Pas plus de visiteur que la veille. Le conservateur, qui avait été professeur quelque temps auparavant, suppose que c’est quelque écolier rancuneux, affligé de trop de pensums, qui se sera caché dans la maison, ou qui aura même attaché un chat par la queue à un nœud coulant qui se sera relâché par l’effet de la traction…

Enfin, le troisième jour, il charge le concierge de se tenir sur le palier, avec une lumière, jusqu’au delà de l’heure fatale, et lui promet une récompense si la sonnerie n’a pas lieu.

À une heure du matin, le concierge voit avec consternation le cordon de sonnette se mettre en branle de lui-même, le gland rouge danse avec frénésie le long du mur. Le conservateur ouvre, de son côté, et ne voit devant lui que le concierge faisant des signes de croix.

— C’est l’âme de votre prédécesseur qui revient !

  1. M. de Saint-Martin.