Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/322

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M. de Montalivet était ministre alors. Je ne pus pénétrer jusqu’à lui. Cependant, c’était sur ses décisions que les bureaux, très-polis du reste et très-bienveillants pour moi, rejetaient la responsabilité.

Les répétitions étaient suspendues toujours ; Bocage, appelé par un engagement de province, avait laissé là le rôle, dans lequel son talent eût été une fortune pour ce pauvre Harel et pour moi. Le printemps, saison peu avantageuse pour le théâtre, commençait à s’avancer. Je parlais de ma déconvenue à un écrivain politique, dans un de ces bureaux de journaux où la ligne qui sépare le premier Paris du feuilleton est souvent oubliée pour ne laisser subsister que les relations d’hommes qui se voient habituellement.

— Vous êtes bien bon, me dit-il, de vous donner tant de peine. La censure n’existe pas en ce moment.

— J’ai des raisons de penser le contraire.

— Elle existe de fait et non de droit…, comprenez-vous ?

— Comment ?

— Il y a trois ans, le ministre a obtenu un vote provisoire des Chambres pour le rétablissement de la censure, mais sous la condition de présenter une loi définitive au bout de deux ans.

— Eh bien ?

— Eh bien, il y a trois ans de cela.

Sans être un homme processif, je sentis qu’il y avait là nécessité de soutenir, non pas mes intérêts, les écrivains y songent rarement, mais ceux de ma production littéraire.

J’allai trouver M. Lefèvre, le défenseur agréé et attitré de l’association des auteurs dramatiques. M. Lefèvre me dit fort poliment :

— Vous pouvez avoir raison… Mais notre association évite prudemment de s’engager dans les questions politiques. De plus, mes opinions me font un devoir de m’abstenir. Vous trouverez d’autres agréés qui soutiendront votre affaire avec plaisir.