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LETTRE SIXIÈME


Vie d’Angélique de Lonigueval, de la famille de Bucquoy.


Angélique de Longueval était fille d’un des plus grands seigneurs de Picardie. Jacques de Longueval, comte de Haraucourt, son père, conseiller du roi en ses conseils, maréchal de ses camps et armées, avait le gouvernement du Câtelet et de Clermont en Beauvoisis, C’était dans le voisinage de cette dernière ville, au château de Saint-Rimbaud, qu’il laissait sa femme et sa fille, lorsque le devoir de ses charges l’appelait à la cour ou à l’armée.

Dès l’âge de treize ans, Angélique de Longueval, d’un caractère triste et rêveur, n’ayant goût, comme elle le disait, ni aux belles pierres, ni aux belles tapisseries, ni aux beaux habits, ne respirait que la mort pour guérir son esprit. Un gentilhomme de la maison de son père en devint amoureux. Il jetait continuellement les yeux sur elle, l’entourait de ses soins, et, bien qu’Angélique ne sût pas encore ce que c’était qu’amour, elle trouvait un certain charme à la poursuite dont elle était l’objet.

La déclaration d’amour que lui fit ce gentilhomme resta même tellement gravée dans sa mémoire, que, six ans plus tard, après avoir traversé les orages d’un autre amour, des malheurs de toute sorte, elle se rappelait encore cette première lettre et la retraçait mot pour mot. Qu’on nous permette de citer ici ce curieux échantillon du style d’un amoureux de province au temps de Louis XIII.

Voici la lettre du premier amoureux de mademoiselle Angélique de Longueval :


« Je ne m’étonne plus de ce que les simples, sans la force des rayons du soleil, n’ont nulle vertu, puisque, aujourd’hui, j’ai été si malheureux que de sortir sans avoir vu cette belle