Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/337

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« Cette simple fille, dit Angélique, le croyait fermement… Ainsi, nous passions deux ou trois heures à rire tous trois ensemble tous les soirs, dans le donjon de Verneuil, en la chambre tendue de blanc. »

La surveillance et les soupçons d’un valet de chambre nommé Dourdillie interrompit ces rendez-vous. Les amoureux ne purent plus correspondre que par lettres. Cependant, le père d’Angélique étant allé à Rouen pour retrouver le duc de Longueville, dont il était le lieutenant, La Corbinière s’échappa la nuit, monta sur une muraille par une brèche, et, arrivé près de la fenêtre d’Angélique, jeta une pierre à la vitre.

La demoiselle le reconnut et dit, en dissimulant encore, à sa chambrière Beauregard :

— Je crois que votre amoureux est fou. Allez vitement lui ouvrir la porte de la salle basse qui donne dans le parterre, car il y est entré. Cependant, je vais m’habiller et allumer de la chandelle.

Il fut question de donner à souper au jeune homme. « lequel ne fut que de confitures liquides. »

« Toute cette nuit, ajoute la demoiselle, nous la passâmes tous trois à rire. »

Mais ce qu’il y a de malheureux pour la pauvre Beauregard, c’est que la demoiselle et La Corbinière se riaient surtout en secret de la confiance qu’elle avait d’être aimée de lui.

Le jour venu, on cacha le jeune homme dans la chambre dite du Roy, où jamais personne n’entrait ; puis, à la nuit, on l’allait quérir. « Son manger, dit Angélique, fut, ces trois jours de poulet frais que je lui portais entre ma chemise et ma cotte. »

La Corbinière fut forcé enfin d’aller rejoindre le comte, qui alors séjournait à Paris. Un an se passa, pour Angélique, dans une mélancolie distraite seulement par les lettres qu’elle écrivait à son amant. « Je n’avais pas d’autre divertissement, dit-elle, car ni les belles pierres, ni les belles tapisseries et beaux