Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/346

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être rendue à Paris. Je pense que cela ne tient pas à ce que je sois mal vu dans ce pays où j’ai été élevé ; mais voici un détail curieux.

Il y a quelques semaines, je commençais déjà à faire le plan du travail que vous voulez bien publier, et je faisais quelques recherches préparatoires sur les Bucquoy, dont le nom a toujours résonné dans mon esprit comme un souvenir d’enfance. Je me trouvais à Senlis avec un ami, un ami breton, très-grand et à la barbe noire. Arrivés de bonne heure par le chemin de fer, qui s’arrête à Saint-Maixent, et ensuite par un omnibus, qui traverse les bois, en suivant la vieille route de Flandre, nous eûmes l’imprudence d’entrer au café le plus apparent de la ville, pour nous y réconforter.

Ce café était plein de gendarmes, dans l’état gracieux qui, après le service, leur permet de prendre quelque divertissement. Les uns jouaient aux dominos, les autres au billard.

Ces militaires s’étonnèrent sans doute de nos façons et de nos barbes parisiennes. Mais ils n’en manifestèrent rien ce soir-là.

Le lendemain, nous déjeunions à l’hôtel excellent de la Truie qui file (je vous prie de croire que je n’invente rien) lorsqu’un brigadier vint nous demander très-poliment nos passe-ports.

Pardon de ces minces détails, mais cela peut intéresser tout le monde…

Nous lui répondîmes à la manière dont un certain soldat répondit à la maréchaussée, — selon une chanson de ce pays-là même (j’ai été bercé avec cette chanson) :


On lui a demandé :
— Où est votre congé ?
— Le congé que j’ai pris,
Il est sous mes souliers !


La réponse est jolie, mais le refrain est terrible :


Spiritus sanctus,
Quoniam bonus !