Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/372

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Quant à Angélique de Longueval, c’est l’opposition même en cotte hardie. Cependant, elle aimait son père, et ne l’avait abandonné qu’à regret. Mais, du moment qu’elle avait choisi l’homme qui semblait lui convenir, comme la fille du duc Loys choisissant Lautrec pour cavalier, elle n’a pas reculé devant la fuite et le malheur, et même, ayant aidé à soustraire l’argenterie de son père, elle s’écriait :

— Ce que c’est de l’amour !

Les gens du moyen âge croyaient aux charmes. Il semble qu’un charme l’ait, en effet, attachée à ce fils de charcutier, qui était beau, s’il faut l’en croire, mais qui ne semble pas l’avoir rendue très-heureuse. Cependant, en constatant quelques malheureuses dispositions de celui qu’elle ne nomme jamais, elle n’en dit pas de mal un instant. Elle se borne à constater les faits, et l’aime toujours, en épouse platonicienne et soumise à son sort par le raisonnement.

Le discours du lieutenant-colonel, qui voulait éloigner La Corbinière de Venise, avait donné dans la vue de ce dernier. Il vend tout à coup son enseigne pour se rendre à Inspruck et chercher fortune en laissant sa femme à Venise.

« Voilà donc, dit Angélique, l’enseigne vendue à cet homme qui m’aimait, content (le lieutenant-colonel), en croyant que je ne m’en pouvais plus dédire ; mais l’amour, qui est la reine[1] de toutes les passions, se moqua bien de la charge, car, lorsque je vis que mon mari faisait son préparatif pour s’en aller, il me fut impossible de penser seulement de vivre sans lui. »

Au dernier moment, pendant que le lieutenant-colonel se réjouissait déjà du succès de cette ruse, qui lui livrait une femme isolée de son mari, Angélique se décida à suivre La Corbinière à Inspruck. « Ainsi, dit-elle, l’amour nous ruina en Italie aussi bien qu’en France, quoiqu’en celle d’Italie je n’y avais point de coulpe (faute). »

  1. L’amour se disait au féminin à cette époque.