Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/373

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Les voilà partis de Vérone avec un nommé Boyer, auquel La Corbinière avait promis de faire sa dépense jusqu’en Allemagne, parce qu’il n’avait point d’argent. (Ici, La Corbinière se relève un peu.) À vingt cinq milles de Vérone, à un lieu où, par le lac, on va à la rive de Trente, Angélique faiblit un instant, et pria son mari de revenir vers quelque ville du bon pays vénitien, comme Brescia. Cette admiratrice de Pétrarque quittait avec peine ce doux pays d’Italie pour les montagnes brumeuses qui cernent l’Allemagne. « Je pensais bien, dit-elle, que les cinquante pistoles qui nous restaient ne nous dureraient guère ; mais mon amour était plus grand que toutes ces considérations, »

Ils restèrent huit jours à Inspruck, où le duc de Feria passa, et dit à La Corbinière qu’il fallait aller plus loin pour trouver de l’emploi, dans une ville nommé Fisch. Là, Angélique eut un grand flux de sang, et l’on appela une femme, qui lui fit comprendre « qu’elle s’était gâtée d’un enfant. » C’est une locution bien chrétienne, qu’il faut pardonner au langage du temps et du pays.

On a toujours considéré comme une souillure, dans la manière de voir des hommes d’Église, le fait, légitime pourtant, puisque Angélique s’était mariée, de produire au monde un nouveau pécheur. Ce n’est pourtant pas là l’esprit de l’Évangile. Mais passons.

La pauvre Angélique, un peu rétablie, fut forcée de se remettre à cheval sur l’unique haquenée que possédait le ménage, « Toute débile que j’étais, dit-elle, ou, pour dire la vérité, demi-morte, je montai à cheval pour aller avec mon mari rejoindre l’armée, où je fus si étonnée de voir autant de femmes que d’hommes, entre beaucoup de celles de colonels et capitaines. »

Son mari alla faire la révérence au grand colonel nommé Gildase, lequel, comme Wallon, avait entendu parler du comte de Longueval de Bucquoy, qui avait défendu la Frise contre Henri IV. Il fit grande caresse au mari d’Angélique, et