Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/430

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paule ; mais il faut des braves… pour que l’on ait ici le sel à bon marché !

— Comment vous appelez-vous ?

L’homme ne répondit pas ; mais un voisin dit à Archambault de Bucquoy :

— C’est le capitaine…

— Ma foi, répondit-il, je me trouve ici dans la société d’honnêtes gens… Je puis parler !… Vous êtes évidemment ici des hommes qui faites la contrebande du sel… Vous faites bien.

— On a du mal, dit le capitaine.

— Eh ! mes enfants, Dieu récompense ceux qui agissent pour le bien de tous.

— C’est un huguenot, se dirent à voix basse quelques-uns des assistants.

— Tout est fini ! reprit Archambault ; le vieux roi s’éteint, sa vieille maîtresse n’a plus de souffle… Il a épuisé la France, dans son génie et dans sa force ; si bien que les dernières batailles les plus émouvantes ont eu lieu entre Fénelon et Bossuet ! Le premier soutenait que « l’amour de Dieu et du prochain peut être pur et désintéressé. » L’autre, que « la charité, en tant que charité, doit toujours être fondée sur l’espérance de la béatitude éternelle. » Grave question, messieurs !

Un immense éclat de rire, parti de tous les points du cabaret, accueillit cette observation. Archambault baissa la tête et mangea sa soupe sans dire un mot de plus.

Le capitaine lui frappa sur l’épaule :

— Qu’est-ce que vous pensez des extases de madame Guyon ?

— Fénelon l’a jugée sainte, et Bossuet, qui l’avait attaquée d’abord, n’est pas éloigné de la croire au moins inspirée.

— Mon cavalier, dit le capitaine, je vous soupçonne de vous occuper quelque peu de théologie.

— J’y ai renoncé… Je suis devenu un simple quiétiste,