Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/93

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attendrissement il regarde Septimanette… Il pleure encore. Il a peut-être perdu une fille de son âge !

La jeune fille s’était, en effet, rapprochée de ses deux gouvernantes ; Nicolas se leva comme ayant entendu les derniers mots.

— Oui, précisément de son âge ! dit-il avec une émotion profonde qui toucha les deux dames et la jeune fille… Permettez-moi de l’embrasser.

La jeune fille s’y prêta avec une grâce enfantine.

— Et…, dit Nicolas en relevant la tête, une de vous, mesdames, est sans doute sa mère ?

— Ni l’une ni l’autre… Elle est d’un sang…

L’une des dames fit signe à l’autre de ne pas achever.

— Oh ! d’un beau sang ! dit Nicolas après avoir attendu vainement la fin de la phrase. Que son père doit être heureux !

— Son père ne l’aime pas, parce que c’est une fille… et qu’il espérait…

Un second coup d’œil de l’une des dames réprima l’indiscrétion de l’autre. En ce moment, le coche s’arrêta devant une prairie au fond de laquelle on apercevait un château. Une barque vint chercher les dames et la jeune fille, qu’une voiture armoriée attendait sur la berge.

— Que je l’embrasse une seconde fois ! dit Nicolas.

On le lui accorda par pitié pour son chagrin, bien que cela parût, cette fois, quelque peu indiscret. En embrassant la jeune fille, Nicolas tira une fleur du bouquet qu’elle portait, et la mit dans un livre. Le coche avait repris sa marche vers Sens.

— Quel est ce château ? dit Nicolas à un marinier.

— C’est Courtenay.

Il était donc vrai : la dame inconnue était la célèbre Septimanie, comtesse d’Egmont, la fille de Richelieu, l’épouse d’un prince qui n’avait pas su se donner d’héritier. Tout s’expliquait dès lors, et il regretta les récits imprudents qu’il avait faits de cette aventure ; car s’en déclarer le héros, ce ne pouvait