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INTRODUCTION.

qui inspiraient des fureurs divines. Mais la terre, par les changements continuels que le temps amène, a repris et fait rentrer en elle fontaines, exhalaisons et oracles. » Voilà ce qu’a rapporté Porphyre, selon Eusèbe.

Ainsi les dieux s’éteignent eux-mêmes ou quittent la terre, vers qui l’amour des hommes ne les appelle plus ! Leurs bocages ont été coupés, leurs sources taries, leurs sanctuaires profanés ; par où leur serait-il possible de se manifester encore ? Ô Vénus Uranie ! reine de cette île et de cette montagne, d’où tes traits menaçaient le monde ; Vénus Armée ! qui régnas depuis au Capitole, où j’ai salué (dans le musée) ta statue encore debout, pourquoi n’ai-je pas le courage de croire en toi et de t’invoquer, déesse ! comme l’ont fait si longtemps nos pères, avec ferveur et simplicité ? N’es-tu pas la source de tout amour et de toute noble ambition, la seconde des mères saintes qui trônent au centre du monde, gardant et protégeant les types éternels des femmes créées contre le double effort de la mort qui les change, ou du néant qui les attire ?… Mais vous êtes là toutes encore, sur vos astres étincelants ; l’homme est forcé de vous reconnaître au ciel, et la science de vous nommer. Ô vous, les trois grandes déesses, pardonnez-vous à la terre ingrate d’avoir oublié vos autels ?

Pour rentrer dans la prose, il faut avouer que Cythère n’a conservé, de toutes ses beautés, que ses rocs de porphyre, aussi tristes à voir que de simples rochers de grès. Pas un arbre sur la côte que nous avons suivie, pas une rose, hélas ! pas un coquillage le long de ce bord où les néréides avaient choisi la conque de Cypris. Je cherchais les bergers et les bergères de Watteau, leurs navires ornés de guirlandes abordant des rives fleuries ; je rêvais ces folles bandes de pèlerins d’amour aux manteaux de satin changeant… Je n’ai aperçu qu’un gentleman qui tirait aux bécasses et aux pigeons, et des soldats écossais blonds et rêveurs, cherchant peut-être à l’horizon les brouillards de leur patrie.

Nous nous arrêtâmes bientôt au port San-Nicolo, à la pointe