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INTRODUCTION.

reux dans ce beau pays d’Italie, qui ne rendit pas toujours à la Vénus Céleste des hommages si épurés.

Pouvais-je faire mieux que de relire, avant de toucher à Cythère, le livre étrange de Polyphile, qui, comme Nodier l’a fait remarquer, présente une singularité charmante ; l’auteur a signé son nom et son amour en employant en tête de chaque chapitre un certain nombre de lettres choisies pour former la légende suivante : Poliam frater Franciscus Columna peramavit[1]. Que sont les amours d’Abailard et d’Héloïse auprès de cela ?


IV — SAN-NICOLO


En mettant le pied sur le sol de Cérigo, je n’ai pu songer sans peine que cette île, dans les premières années de notre siècle, avait appartenu à la France. Héritière des possessions de Venise, notre patrie s’est vue dépouillée à son tour par l’Angleterre, qui, là, comme à Malte, annonce en latin aux passants sur une tablette de marbre que « l’accord de l’Europe et l’amour de ces îles lui en ont, depuis 1814, assuré la souveraineté. » — Amour ! dieu des Cythéréens, est-ce bien toi qui as ratifié cette prétention ?

Pendant que nous rasions la côte, avant de nous abriter à San-Nicolo, j’avais aperçu un petit monument, vaguement découpé sur l’azur du ciel, et qui, du haut d’un rocher, semblait la statue encore debout de quelque divinité protectrice… Mais, en approchant davantage, nous avons distingué clairement l’objet qui signalait cette côte à l’attention des voyageurs. C’était un gibet, un gibet à trois branches, dont une seule était garnie. Le premier gibet réel que j’aie vu encore, c’est sur le sol de Cythère, possession anglaise, qu’il m’a été donné de l’apercevoir !

Je n’irai pas à Capsali ; je sais qu’il n’existe plus rien du temple que Pâris fit élever à Vénus Dionée, lorsque le mauvais

  1. « Le frère Francesco Colonna a aimé tendrement Polia. »