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VOYAGE EN ORIENT.

de sa jeunesse délaissée avec des strophes… à la vérité les plus belles du monde ? »

— Que de peines vous retracez à ma mémoire ! Hélas ! cette fille de la nuit suivait le culte d’Isis… Pouvais-je, sans crime, lui ouvrir l’accès de la ville sainte, la donner pour voisine à l’arche d’Adonaï, et la rapprocher de ce temple auguste que j’élève au Dieu de mes pères ?…

— Un tel sujet est délicat, fit observer judicieusement Balkis ; excusez Hud-Hud ; les oiseaux sont quelquefois légers ; le mien se pique d’être connaisseur, en poésie surtout.

— Vraiment ! repartit Soliman-Ben-Daoud ; je serais curieux de savoir…

— De méchantes querelles, seigneur, méchantes, sur ma foi ! Hud-Hud s’avise de blâmer que vous compariez la beauté de votre amante à celle des chevaux du char des pharaons, son nom à une huile répandue, ses cheveux à des troupeaux de chèvres, ses dents à des brebis tondues et portant fruit, ses joues à la moitié d’une grenade, ses mamelles à deux biquets, sa tête au mont Carmel, son nombril à une coupe où il y a toujours quelque liqueur à boire, son ventre à un monceau de froment, et son nez à la tour du Liban qui regarde vers Damas.

Soliman, blessé, laissait choir avec découragement ses bras dorés sur ceux de son fauteuil également dorés, tandis que l’oiseau, se rengorgeant, battait l’air de ses ailes de sinople et d’or.

— Je répondrai à l’oiseau qui sert si bien votre penchant à la raillerie, que le goût oriental permet ces licences, que la vraie poésie recherche les images, que mon peuple trouve mes vers excellents, et goûte de préférence les plus riches métaphores…

— Rien de plus dangereux pour les nations que les métaphores des rois, reprit la reine de Saba : échappées à un style auguste, ces figures, trop hardies peut-être, trouveront plus d’imitateurs que de critiques, et vos sublimes fantaisies risque-