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LES NUITS DU RAMAZAN.

j’en ai utilisé les leçons. J’ai tourné mes regards sur les souvenirs du passé ; j’ai contemplé les monuments, et j’ai fui la société des humains…

— Et pourquoi, maître ?

— On ne se plaît guère dans la compagnie de ses semblables… et je me sentais seul.

Ce mélange de tristesse et de grandeur émut la reine, qui baissa les yeux et se recueillit,

— Vous le voyez, poursuivit Adoniram, je n’ai pas beaucoup de mérite à pratiquer les arts, car l’apprentissage ne m’a point donné de peine. Mes modèles, je les ai rencontrés parmi les déserts ; je reproduis les impressions que j’ai reçues de ces débris ignorés et des figures terribles et grandioses des dieux du monde ancien.

— Plus d’une fois déjà, interrompit Soliman avec une fermeté que la reine ne lui avait point vue jusque-là, plus d’une fois, maître, j’ai réprimé en vous, comme une tendance idolâtre, ce culte fervent des monuments d’une théogonie impure. Gardez vos pensées en vous, et que le bronze ou les pierres n’en retracent rien au roi.

Adoniram, en s’inclinant, réprimait un sourire amer.

— Seigneur, dit la reine pour le consoler, la pensée du maître s’élève sans doute au-dessus des considérations susceptibles d’inquiéter la conscience des lévites… Dans son âme d’artiste, il se dit que le beau glorifie Dieu, et il cherche le beau avec une piété naïve.

— Sais-je d’ailleurs, moi, dit Adoniram, ce qu’ils furent en leur temps, ces dieux éteints et pétrifiés par les génies d’autrefois ? Qui pourrait s’en inquiéter ? Soliman, roi des rois, m’a demandé des prodiges, et il a fallu me souvenir que les aïeux du monde ont laissé des merveilles.

— Si votre œuvre est belle et sublime, ajouta la reine avec entraînement, elle sera orthodoxe, et, pour être orthodoxe à son tour, la postérité vous copiera.

— Grande reine, vraiment grande, votre intelligence est pure comme votre beauté.