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LES NUITS DU RAMAZAN.

vase d’argile, lui qui, dans les eaux du déluge, a noyé tant de milliers d’hommes ! lui qui, pour les décimer, leur a suscité tant de tyrans !

Alors, la tombe d’Adam parla.

— C’est toi, dit la voix profonde, toi qui as enfanté le meurtre ; Dieu poursuit, dans mes enfants, le sang d’Héva dont tu sors et que tu as versé ! C’est à cause de toi que Jéhovah a suscité des prêtres qui ont immolé les hommes, et des rois qui ont sacrifié des prêtres et des soldats. Un jour, il fera naître des empereurs pour broyer les peuples, les prêtres et les rois eux-mêmes, et la postérité des nations dira : « Ce sont les fils de Kaïn ! »

Le fils d’Héva s’agita, désespéré.

— Lui aussi ! s’écria-t-il ; jamais il n’a pardonné.

— Jamais !… répondit la voix.

Et, des profondeurs de l’abîme, on l’entendit gémir encore :

— Habel, mon fils, Habel, Habel !… qu’as-tu fait de ton frère Habel ?…

Kaïn roula sur le sol, qui retentit, et les convulsions du désespoir lui déchiraient la poitrine…

Tel est le supplice de Kaïn, parce qu’il a versé le sang. Saisi de respect, d’amour, de compassion et d’horreur, Adoniram se détourna.

— Qu’avais-je fait, moi ? dit, en secouant sa tête coiffée d’une tiare élevée, le vénérable Hénoch. Les hommes erraient comme des troupeaux ; je leur appris à tailler les pierres, à bâtir des édifices, à se grouper dans les villes. Le premier, je leur ai révélé le génie des sociétés. J’avais rassemblé des brutes ; … je laissai une nation dans ma ville d’Hénochia, dont les ruines étonnent encore les races dégénérées. C’est grâce à moi que Soliman dresse un temple en l’honneur d’Adonaï, et ce temple fera sa perte ; car le Dieu des Hébreux, ô mon fils, a reconnu mon génie dans l’œuvre de tes mains.

Adoniram contempla cette grande ombre : Hénoch avait la barbe longue et tressée ; sa tiare, ornée de bandes rouges et