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VOYAGE EN ORIENT.

— Non ; c’est le succès que vous courtisez : si j’étais à terre, votre pied foulerait mon front.

— Maintenant ?… À mon tour, non, et mille fois non.

— Eh bien, laissez-moi briser mon œuvre, la mutiler et replacer l’opprobre sur ma tête. Je reviendrai suivi des huées de la foule ; et, si votre pensée me reste fidèle, mon déshonneur sera le plus beau jour de ma vie.

— Allez, faites ! s’écria Balkis avec un entraînement qu’elle n’eut pas le temps de réprimer.

Adoniram ne put maîtriser un cri de joie, et la reine entrevit les conséquences d’un si redoutable engagement. Adoniram se tenait majestueux devant elle, non plus sous l’habit commum aux ouvriers, mais dans le costume hiérarchique du rang qu’il occupait à la tête du peuple des travailleurs. Une tunique blanche plissée autour de son buste, dessiné par une large ceinture passementée d’or, rehaussait sa stature. À son bras droit s’enroulait un serpent d’acier, sur la crête duquel brillait une escarboucle, et, à demi voilé par une coiffure conique, d’où se déployaient deux larges bandelettes retombant sur la poitrine, son front semblait dédaigner une couronne.

Un moment, la reine, éblouie ; s’était fait illusion sur le rang de cet homme hardi ; la réflexion lui vint ; elle sut s’arrêter, mais ne put surmonter le respect étrange dont elle s’était sentie dominée.

— Asseyez-vous, dit-elle ; revenons à des sentiments plus calmes, dût votre esprit défiant s’irriter ; votre gloire m’est chère ; ne détruisez rien. Ce sacrifice, vous l’avez offert ; il est consommé pour moi. Mon honneur en serait compromis, et vous le savez, maître, ma réputation est désormais solidaire de la dignité du roi Soliman.

— Je l’avais oublié, murmura l’artiste avec indifférence. Il me semble avoir ouï conter que la reine de Saba doit épouser le descendant d’une aventurière de Moab, le fils du berger Daoud et de Bethsabée, veuve adultère du centenier Uriah.