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APPENDICE.

par leurs narines sans s’inquiéter autrement des querelles foudroyantes d’êtres moins vivants qu’eux.

Il est donc permis de peindre des poissons, des coquillages, et même certains animaux. Je n’ai vu de ces derniers que des lions et des léopards. On a vendu, à Constantinople, une gouache fort bien faite, représentant un de ces animaux, pour deux cents piastres (quarante-cinq francs). Pendant tout le mois du Ramazan, j’ai vu exposée à l’entrée du pont de bois qui traverse la Corne-d’or, du côté de Galata, toute une collection de trois cents tableaux encadrés et sous verre la plupart. Les sujets en étaient un peu monotones, mais l’exécution était fort variée. Les sujets religieux permis se bornent à deux : la vue à vol d’oiseau de la Mecque et celle de Médine, les deux villes sacrées, toujours sans aucun personnage. On peut y ajouter quelques vues de mosquées. Un autre sujet se compose d’une quantité prodigieuse d’animaux à tête de femme ; c’est la seule figure humaine qui puisse être représentée. La couleur des yeux, des cheveux, la coupe du visage sont abandonnées à la fantaisie de l’artiste. Ainsi, un Turc ne pourrait faire le portrait de sa maîtresse sans lui donner le corps d’un monstre. D’ailleurs, cette sorte de sphinx a le plus grand succès et se rencontre chez tous les barbiers. Les tableaux de genre se bornent à la reproduction des paysages et des vues. La perspective n’en est pas mauvaise quelquefois, et la couleur, un peu plate, se rapporte toujours à l’effet de nos papiers peints. Les sujets de marine sont encore les plus nombreux. Les vaisseaux de toutes les formes, de tous les pavillons, les escadres, les combats de mer, les poissons monstrueux nageant à fleur d’eau, voilà où s’épanouit l’école turque dans toute sa liberté. Je n’ai point vu de bateau à vapeur. Les peintres turcs n’ont peut-être pas encore la parfaite certitude que ce ne soit pas un animal vivant. On remarquait aussi parfois la vue d’un bonnet de derviche posé sur un escabeau. Quelques tableaux, enfin, se bornaient à représenter le chiffre de la maison ottomane, dessiné en diverses couleurs, ou doré, dans de grandes