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DE PARIS À CYTHÈRE.

augure. La belle s’est mise à caresser le chien, qui était tout mouillé ; puis elle m’a dit qu’il avait sans doute perdu ses maîtres, et qu’elle voulait le recueillir chez elle. J’ai demandé à y entrer aussi, mais elle m’a répondu : Nicht ! ou, si tu veux : Nix ! avec un accent résolu qui m’a fait penser à l’invasion de 1814. Je me suis dit :

— C’est ce gredin de chien noir qui me porte malheur. Il est évident que, sans lui, j’aurais été reçu.

Eh bien, ni le chien ni moi ne sommes entrés. Au moment où la porte s’ouvrit, il s’est enfui comme un être fantastique qu’il était, et la beauté m’a donné rendez-vous pour le lendemain.

Le lendemain, j’étais furieux, agacé ; il faisait très-froid ; j’avais affaire. Je ne vins pas à l’heure, mais plus tard dans la journée. Je trouve un individu mâle qui m’ouvre et me demande, ainsi que la tête de chameau de Cazotte : Chè vüoi ? Comme il était moins effrayant, j’étais prêt à répondre : « Je demande mademoiselle… » Mais, ô malheur ! je me suis aperçu que j’ignorais totalement le nom de ma maîtresse. Cependant, comme je te l’ai dit, je la connaissais depuis trois jours. Je balbutie ; le monsieur me regarde comme un intrigant ; je m’en vais. Très-bien.

Le soir, je rôde autour de la maison ; je la vois qui rentre ; je m’excuse, et je lui dis fort tendrement :

— Mademoiselle, serait-il indiscret maintenant de vous demander votre nom ?

— Vhahby.

— Plaît-il ?

— Vhahby.

— Oh ! oh ! celui-là, je demande à l’écrire. Ah çà ! vous êtes donc Bohême ou Hongroise ?

Elle est d’Olmutz, cette chère enfant… Vhahby, c’est un nom bien bohême, en effet, et cependant la fille est douce et blonde, et dit son nom si doucement, qu’elle a l’air d’un agneau s’exprimant dans sa langue maternelle.