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DE PARIS À CYTHÈRE.

— Demain, ajoutai-je, j’irai voir votre directeur et le rassurer sur mes intentions.

L’estafier ne répondit pas grand’chose et s’esquiva en feignant de ne point trop comprendre mon mauvais allemand.

Pour t’édifier sur ma tranquillité dans cette affaire, je te dirai qu’un journaliste de mes amis m’avait donné une excellente lettre de recommandation pour un des chefs de la police viennoise. Je m’étais promis de n’en profiter que dans une occasion grave. Le lendemain donc, je me dirigeai vers la Politzey-direction.

J’ai été parfaitement accueilli : le personnage en question, qui s’appelle le baron de S***, est un ancien poëte lyrique, ex-membre du Tugendbund et des sociétés secrètes, qui a passé à la police, en prenant de l’âge, à peu près comme on se range, après les folies de la jeunesse… Beaucoup de poëtes allemands se sont trouvés dans ce cas. À Vienne, du reste, la police a quelque chose de patriarcal qui explique mieux qu’ailleurs ces sortes de transitions.

Nous avons causé littérature, et M. de S***, après s’être assuré de ma position, m’a admis peu à peu dans une sorte d’intimité.

— Savez-vous, m’a-t-il dit, que vos aventures m’amusent infiniment ?

— Quelles aventures ?

— Mais celles que vous racontez si agréablement à votre ami ***, et que vous mettez ici à la poste pour Paris.

— Ah ! vous lisez cela ?

— Oh ! ne vous en inquiétez pas ; rien dans votre correspondance n’est de nature à vous compromettre. Et même le gouvernement fait grand cas de ceux des étrangers qui, loin de fomenter des intrigues, profitent avec ardeur des plaisirs de la bonne ville de Vienne.

Je fus loin de m’étonner de cette confidence ; je savais parfaitement que toutes les lettres passaient par un cabinet noir, non pas seulement en Autriche, mais dans la plupart des pays