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lorely.

les frais sentiers non frayés qu’il savait découvrir, même au milieu des turbulences contemporaines, il vint à bout de son drame. Rien ne lui coûta pour arriver à son but solennel. Il avait disposé sa fable d’une main ferme ; il avait écrit son dialogue d’un style éloquent et passionné ; il n’avait reculé devant pas un des mystères du carbonarisme allemand ; seulement, il les avait expliqués et commentés avec sa bienveillance accoutumée. — Voilà tout son drame tout fait. Alors, il se met à le lire, il se met à pleurer, il se met à trembler, tout comme fera le parterre plus tard. Il se passionne pour l’héroïne qu’il a faite si belle et si touchante ; il prend en main la défense de son jeune homme, condamné à l’assassinat par le fanatisme ; il prête l’oreille au fond de toutes ces émotions souterraines pour savoir s’il n’entendra pas retentir quelques accents égarés de la muse belliqueuse de Kœrner. Si bien qu’il recula le premier devant son œuvre. Une fois achevée, il la laissa là parmi ses vieilles lames ébréchées, ses vieux fauteuils sans dossier, ses vieilles tables boiteuses, tous ces vieux lambeaux entassés çà et là avec tant d’amour, et que déjà recouvrait l’araignée de son transparent et frêle linceul. Ce ne fut qu’à force de sollicitations et de prières, que le théâtre put obtenir ce drame, intitulé Léo Burckart. Il ne voulait pas qu’on le jouât. Il disait que cela lui brisait le cœur, de voir les enfants de sa création exposés sur un théâtre, et il se lamentait sur la perte de l’idéal. « De l’huile, disait-il, pour remplacer le soleil ! Des paravents pour remplacer la verdure ; la première venue, qui usurpe le nom de ma chaste jeune fille, et, pour mon héros, un grand gaillard en chapeau gris qu’il faut aller chercher à l’estaminet voisin ! » Bref, toutes les peines que se donnent les inventeurs ordinaires pour mettre leurs inventions au grand jour, il se les donnait, lui, pour garder les siennes en réserve. Le jour de la première représentation de Léo Burckart il a pleuré.

» — Au moins, disait-il, si j’avais été sifflé, j’aurais emporté ces pauvres êtres dans mon manteau ; eux et moi, nous serions