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lorely.

la société parisienne, éparse et rayonnant partout loin du centre, comme la rose des vents.

D’ailleurs, on sait comment je voyage, et que je n’ai aucune des habitudes et des qualités du touriste littéraire ; j’ai déjà parcouru autant de pays que Joconde, et je suis sorti ou rentré par toutes les portes de la France ; mais, quant à voir les points de vue et les curiosités selon l’ordre des itinéraires, c’est de quoi je me suis toujours soigneusement défendu. Je suis rarement préoccupé des monuments et des objets d’art, et, une fois dans une ville, je m’abandonne au hasard, sûr d’en rencontrer assez toujours pour ma consommation de flâneur. J’ai perdu beaucoup sans doute à cette indifférence ; mais je lui dois aussi beaucoup de rencontres et d’admirations imprévues que le guide officiel ne m’eût pas fait connaître ou qu’il m’aurait gâtées. Ce que j’aime surtout en voyage, c’est à respirer l’air des forêts et des plaines, c’est à suivre rapidement les longues prairies brumeuses de la Flandre, ou lentement les campagnes joyeuses de l’Italie, pleines d’or et de soleil ; c’est à parcourir au hasard les rues tortueuses des villes, à me mêler inconnu à cette foule bigarrée qui bruit d’un langage étrange, à prendre part, pour un jour, à sa vie éternelle ; curieuse épreuve, isolement salutaire pour l’homme qui sait échapper quelquefois aux molles contraintes de l’habitude, et qui, après une âpre montée, se retourne et parvient à regarder sa vie d’un point unique et sublime, comme on parcourt de ses yeux, du haut du clocher de Strasbourg, le chemin qu’on vient de faire péniblement durant une longue journée.




I — STRASBOURG


Vous comprenez que la première idée du Parisien qui descend de voiture à Strasbourg est de demander à voir le Rhin ; il s’informe, il se hâte, il fredonne avec ardeur le refrain semi-