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lorely.

d’artiste. Mais tout cela est drapé, arrangé, coloré d’une façon charmante. Le vieux Cid avouait bien qu’il manqua de courage un jour ; mais qui donc oserait compromettre son crédit et ses prétentions à un honorable établissement en avouant qu’un jour il a manqué d’argent ?

Mais, puisque enfin j’ai cette audace, et que mon récit peut apprendre quelque chose d’utile aux voyageurs futurs, j’en dois donner aussi les détails et les circonstances. J’avais formé le projet de mon voyage à Francfort avec un de nos plus célèbres écrivains touristes, qui a déjà, je crois, écrit de son côté nos impressions communes ou distinctes ; aussi me tairai-je sur les choses qu’il a décrites, mais je puis bien parler de ce qui m’a été personnel.

Mon compagnon était parti par la Belgique, et moi par la Suisse ; c’est à Francfort seulement que nous devions nous rencontrer, pour y résider quelque temps et revenir ensemble. Mais, comme sa tournée était plus longue que la mienne, vu qu’on lui faisait fête partout, que les rois le voulaient voir, et qu’on avait besoin de sa présence au jubilé de Malines, qui se célébrait à cette époque, je crus prudent d’attendre à Bade que les journaux vinssent m’avertir de son arrivée à Francfort. Une lettre chargée devait nous parvenir à tous deux dans cette dernière ville. Je lui écrivis de m’en envoyer ma part à Bade, où je restais encore. Ici, vous allez voir un coin des tribulations de voyage. Les banquiers ne veulent pas se charger d’envoyer une somme au-dessous de cinq cents francs en pays étranger, à moins d’arrangements pris d’avance. À quoi vous direz qu’il est fort simple de se faire ouvrir un crédit sur tous les correspondants de son banquier ; à quoi je répondrai que cela n’est pas toujours si simple qu’il le paraît. Le prince Puckler-Muskau dirait comme moi, qui ne suis que littérateur, s’il osait avoir cette franchise. Aussi bien je pourrais inventer mille excuses ; j’étais alors à Baden-Baden, et l’année justement de l’ouverture des jeux Bénazet ; je pourrais avoir risqué quelques centaines de louis à la table où l’électeur de Hesse jetait tous les jours