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lorely.

— Eh bien, monsieur, avec cela, on soupe, on dort et on déjeune ; je ne dépenserai pas davantage, moi.

Je le priai de m’expliquer sa théorie, n’ayant jamais rencontré de pareils gîtes, et pourtant j’ai couché dans de bien affreuses auberges, en Italie surtout. Il m’apprit alors une chose que je soupçonnais déjà, c’est qu’il y avait partout deux prix très-différents pour les voyageurs en voiture et pour les voyageurs à pied.

— Par exemple, me dit-il, moi, je vais à Constantinople, et j’ai emporté cinquante francs, avec quoi je ferai la route.

Cette confiance m’étonna tellement, que je lui fis expliquer en détail toutes ses dépenses ; il est clair qu’il ne pouvait y aller ainsi par le paquebot du Danube.

— Combien dépensez-vous par jour ? lui dis-je,

— Vingt sous de France par jour, au plus. Je vous ai dit ce que coûtait la dépense d’auberge ; le reste est pour les petits vers de rack, et un bon morceau de pain vers midi.

Il m’assura qu’il avait déjà fait la route de Strasbourg à Vienne pour seize francs. Les auberges les plus chères étaient dans les pays avoisinant la France. En Bavière, le lit ne coûte plus que trois kreutzers (deux sous). En Autriche et en Hongrie, il n’y a plus de lits ; on couche sur la paille, dans la salle du cabaret ; on n’a à payer que le souper et le déjeuner, qui sont deux fois moins chers qu’ailleurs. Une fois la frontière hongroise passée, l’hospitalité commence. À partir de Semlin, les lieues de poste s’appellent lieues de chameau ; pour quelques sous par jour, on peut monter sur ces animaux, et chevaucher fort noblement ; mais c’est plus fatigant que la marche.

La profession de ce brave homme était de travailler dans les cartonnages ; je ne sais trop ce qui le poussait à l’aller exercer à Stamboul. Il me dit seulement qu’il s’ennuyait en France. La conquête d’Alger a développé chez beaucoup de nos ouvriers le désir de connaître l’Orient ; mais on va à Constantinople par terre, et, pour se rendre à Alger, il faut payer le passage ; ceux donc qui ont de bonnes jambes préfèrent ce dernier voyage.