Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/474

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
462
lorely.

La route est droite comme un chemin de fer ; dans la singulière contrée que nous traversons, tout est montagne ou plat pays, point de collines ni d’accidents de terrain ; les prés sont magnifiques, les chemins vicinaux, bordés d’arbres fruitiers, ont de quoi exciter l’enthousiasme du général Bugeaud ; de temps en temps, nous suivons le Rhin, qui serpente à gauche, et, vers le milieu du voyage, le fort Louis nous apparaît à l’horizon. D’un autre côté, l’on nous indique le vieux noyer près duquel fut tué Turenne. Est-ce bien le même ? En tout cas, on fait voir le boulet dont il fut frappé, La route traverse encore plusieurs villages assez laids ; puis nous nous rapprochons enfin de ces montagnes violettes qui semblent si voisines quand on les regarde du haut des remparts de trasbourg. Ce sont les vraies montagnes de la forêt Noire, et pourtant leur aspect n’a rien de bien effrayant. Mais quand apercevrons-nous Bade, cette ville d’hôtelleries, assise au flanc d’une montagne que ses maisons gravissent peu à peu comme un troupeau à qui l’herbe manque dans la plaine ? Son amphithéâtre célèbre de riches bâtiments ne nous apparaîtra-t-il pas avant l’arrivée ? Non ; nous ne verrons rien de Bade avant d’y entrer ; une longue allée de peupliers d’Italie ferme ainsi qu’un rideau de théâtre, cette décoration merveilleuse, qui semble être la scène arrangée d’une pastorale d’opéra. C’est ailleurs qu’il faut se placer pour jouir de ce grand spectacle. Prenez vos billets d’entrée au salon de conversation, payez votre abonnement, retenez votre stalle, et alors, du milieu des galeries de Chabert, aux accords d’un orchestre qui joue en plein air toute la journée, vous pourrez jouir de l’aspect complet de Bade, de sa vallée et de ses montagnes, si le bon Dieu prend soin d’allumer convenablement le lustre et d’illuminer les coulisses avec ses beaux rayons d’été.

Car, à vrai dire, et c’est là l’impression dont on est saisi tout d’abord, toute cette nature a l’air artificiel ; ces arbres sont découpés, ces maisons sont peintes, ces montagnes sont de vastes toiles tendues sur châssis, le long desquelles les villageois